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tribune d’Olivier Goulet (iligo) et Isabelle Le Roy (tracks&facts) dans CB Expert (avril 2019) et intervention à l’IREP Forum de mai 2019

Le tube des Buggles en 1980 (« Video killed the radio star ») était pour le moins visionnaire, 25 ans avant la création de YouTube en 2005. Pour pasticher ce tube, la question se pose de savoir de savoir si la recherche de l’efficacité à court terme dans les actions de communication n’est pas en train de tuer la publicité elle-même.

Il existe un risque non négligeable. En voici les raisons.

DE LASCAUX A LIKE MOI

Le sens historique de la communication (qu’elle soit de marque, mais aussi d’opinion) était de construire des représentations symboliques qui puissent se transmettre aux et entre individus. Les peintures de l’art pariétal, encore visible à Lascaux, poursuivaient probablement cette fonction. Au XXème siècle, l’application de cette fonction a conduit à la création de marques fortes, d’institutions fortes. Conséquemment, la chose publicitaire devait bâtir des marques et des institutions puissantes basées sur des socles rationnels ou symboliques solides. La mesure de l’efficacité de la publicité était alors de comprendre comment la marque construisait un positionnement, une image, suffisamment fortes pour justifier des actions de la part des individus (à savoir, des ventes, des souscriptions, etc.). Un certain âge d’or de la communication était né.
Et internet, le digital, arriva.

L’accélération du temps, la fascination de la traçabilité et du chiffre changea les sens et l’essence même de la communication. Ce qui est dorénavant recherché, c’est l’effet court terme de l’action.

Combien de likes, quasi minute par minute, combien d’impressions, combien de ventes idéalement dans l’instant. Et la mesure de l’efficacité de « dériver » fortement du branding vers le selling, la performance
Quel est l’intérêt de mesurer la construction de la marque ou de l’institution? Il faut mesurer si elles sont achetées, utilisées à court terme.
C’est très louable, certes, mais cela suppose, quand même, que la marque a un fonds (de marque), une forme de construction de son positionnement qui précède la vente. En effet, on achète rarement quelque chose qu’on ne connaît pas et dont on n’a aucune connaissance fonctionnelle ou symbolique.
Et cela demande, surtout, de maîtriser le calcul du fameux R.O.I (Retour sur Investissement). Mais, si l’on veut que la mesure de l’efficacité fasse un lien avec les « ventes », il est nécessaire de rappeler quelques fondamentaux.

LE R.O.I EST NU      

Trois fondamentaux à rappeler sur ce fameux ROI.
1. La communication, même dans son acception « selling », ne sert pas qu’à générer des ventes supplémentaires (additionnelles, incrémentales), elle sert surtout, notamment dans les pays économiquement matures, à maintenir des ventes. Si l’on calcule uniquement l’«uplift », on nie le fait que, sans communication, les ventes auraient probablement décru.
2. La communication est financée par la marge des entreprises et non par le chiffre d’affaires. On voit très souvent des « best cases » (parfois récompensés dans des Prix d’ailleurs), montrer qu’avec une campagne, de 250 000 euros, par exemple, a généré 500 000 euros de ventes dites incrémentales. Un ROI de 2 dit-on ! Mais en fait non. Car si vous investissez 250 000 euros en communication avec une marge de 10%, c’est 2 500 000 ventes qu’il faut générer pour créer un ROI positif et 5 millions pour un ROI de 2. Combien de campagnes génèrent cela à court terme ? Une longue expérience nous fait affirmer : pratiquement aucune !
3. Comment, à quoi attribuer ces ventes « incrémentales » ? Une campagne, ce sont des centaines de prise de paroles. Tout doit-il être affecté au dernier contact ? Cela semble absurde (contestation du last clic par exemple…), et pourtant, c’est très souvent le choix effectué. Faut-il modéliser ? C’est beaucoup mieux, mais ne doit-on modéliser que les ventes à court terme.

BRAND WILL BE BACK 

Alors, faut-il être défaitiste et ne plus croire à l’efficacité de la communication ? NON !
Cependant, il faut rééquilibrer les choses et construire le BRANDING tout autant que le SELLING. Est-ce possible ? OUI ! Et ce n’est, d’ailleurs, pas nouveau. Nous faisons référence, par exemple, à un papier paru en 1999, dans, l’excellent déjà, CB NEWS où l’on montrait, une expérimentation avec le groupe TOTAL, qu’il était possible de croiser les données de ventes (SELLING) avec une mesure d’efficacité de la communication (BRANDING) sur la simple base d’un fichier client (déjà le « One to One »).
La solution est là : croiser, sur de mêmes individus, les datas enregistrées sur les ventes avec une mesure branding. C’est une manière supplémentaire de valoriser cette fameuse data. Cela nécessite, bien sûr, que l’annonceur dispose de données clients, mais c’est de plus en plus le cas grâce au digital. Et dans le cas contraire, il est possible de faire appel à des panels consommateurs existants.
Cette revalorisation de la marque, à l’heure du tout performance, est d’ailleurs urgente.

MORT AUX MARQUES FAIBLES ! 

Ne nous trompons pas de révolution digitale. Le search et les réseaux sociaux ont plus de dix ans. Google et Facebook sont devenus des acteurs majeurs du monde de la communication d’aujourd’hui. Mais, leurs modèles, bien que rupturistes, ne remettaient pas en cause les fondamentaux de la communication. Une marque faible avec quelques moyens pouvait émerger.

 

Tout ce qui arrive ou va arriver, que ce soit d’ordre technologique (IA, Voix, Virtuel, Crispr-Cas 9, Nano, 5G, Quantique…) ou sociétal (âge, urbanisation, temporalité…), est encore plus impactant. Nous connaissons aujourd’hui, en tant qu’individus, les bulles de pensée. Les marques demain, devront s’intégrer dans des bulles, des écosystèmes, de consommation dont elles ne seront pas maîtres. Dès lors, développer des marques fortes et mesurer leurs forces, tout autant matérielles, symboliques, que sociales, est crucial.

L’optimisation du SELLING est important, mais la communication ne peut se résumer à cela, sinon elle perdra, et son sens et sa légitimité.